The Truth Teller, du fact-checking automatisé en temps réel

 

Leader dans l’utilisation du fact-checking pendant la campagne présidentielle américaine de 2012, le quotidien américain The Washington Post poursuit ses efforts dans ce domaine en lançant une application prototype pour vérifier l’information en direct.

Toute la vérité, rien que la vérité, en direct, ou presque. C’est ce que vous promet le Truth Teller, (« celui qui dit la vérité »), la nouvelle application lancée fin janvier par le quotidien américain The Washington Post. Le principe ? Un outil de fact-checking mobile qui transcrit en temps réel les discours des politiques, puis les confronte directement avec une base de données déjà compilée par les journalistes, afin de déterminer si le contenu du speech est exact ou mensonger. Pour l’heure, le Truth Teller est disponible sur forme de prototype sur le site du journal.

 

Des technologies au service du fact-checking

L’outil fonctionne comme suit : lorsque l’utilisateur visionne la vidéo du discours d’un homme politique, le son est capturé et automatiquement converti en texte. L’application extrait alors des affirmations factuelles de ce discours, et les compare à des données déjà vérifiées. Celles-ci sont, pour l’essentiel, issues des fact-checks effectués par le Washington Post, mais aussi des sites spécialisés Politifact et Factcheck.org. Si, par exemple, l’affirmation d’un politicien s’avère fausse, le mot « faux » se matérialise en lettres rouges sur l’écran, suivi d’un lien vers l’explication d’un rédacteur.

Ce fonctionnement résulte de la combinaison de différentes technologies, comme l’explique Cory Haik, producteur exécutif pour le numérique au Washington Post : « nous avons associé l’extraction audio et vidéo avec une technologie de reconnaissance vocale pour retrouver une base de données de faits et de fact-checks ». Les développeurs de l’application ont également bénéficié des conseils de Dan Schultz, créateur de Truth Goggles, un plugin de navigateur qui met en lumière les vérités et les mensonges sur n’importe quelle page web. Cory Haik ajoute : « la clé du succès de ce projet est la construction d’une base de données fiable, qui fait autorité : notre but est d’identifier les mensonges, pas d’en créer d’autres ».

 

Un outil en pleine évolution

C’est à Steven Grinsberg, journaliste spécialisé en politique nationale au Washington Post, que l’on doit le concept original de cette application. Ce dernier aurait eu l’idée du Truth Teller à l’été 2012, alors qu’il suivait le discours d’un homme politique dans l’Iowa. Ayant remarqué les nombreuses inexactitudes prononcées par l’orateur, Steven Grinsberg s’est demandé s’il était possible d’imaginer un moyen de vérifier instantanément les déclarations d’un politicien. Il a fait part de cette suggestion à Cory Haik, qui a appuyé le projet. Ce dernier a ensuite été financé à hauteur de 50 000 dollars par une subvention du Prototype Fund de la Knight Foundation.

Pour Steven Ginsberg, si l’outil évolue comme prévu, il constituera un réel complément du blog The Fact Checker, déjà présent sur le site du Washington Post. Quant à Cory Haik, il affirme :  » le fact-checking en live peut fournir des informations incroyables, tant aux journalistes qu’au public », et se dit « excité à l’idée de lancer le processus de création de quelque chose d’aussi unique et précieux que le Truth Teller ». Dans un futur proche, le producteur espère obtenir une technologie suffisamment fiable pour être intégrée à la plateforme de livestreaming du Washington Post, et permettant l’affichage instantané des données de fact-checking pendant un programme. Il prévoit également, à plus long terme, de transformer le prototype en application mobile, notamment pour le cycle électoral de 2016. Ces évolutions impliquent bien évidemment une amélioration constante de l’algorithme, et le développement d’une base de données toujours plus importante et plus structurée.

Steven Ginsberg envisage alors l’influence énorme que pourrait avoir un tel outil sur la scène politique. « Vous pouvez imaginer comment cela changerait non seulement la scène, mais aussi tout le discours politique. Si quelqu’un vous ment et que vous lui dites « attends une seconde, tu viens de me mentir », alors vous êtes dans une situation totalement différente de s’il était simplement en train de parler ».

Une efficacité contestée

Mais si les technologies utilisées par le Truth Teller se veulent les plus perfectionnées et exactes possible, les professionnels pointent les limites de l’outil. Dans Télérama, le journaliste Erwan Desplanques souligne la difficulté d’obtenir un logiciel réellement fiable. Il met en avant les limites intrinsèques au Truth Teller, qui reste une machine et ne peut donc percevoir toutes les subtilités du discours humain. Autres dérives possibles de ce type de fact-checking dénoncées par Erwan Desplanques, le risque de « virer à l’exercice de style » et la mise en scène de l’information dans un système technologique binaire, où tout est nécessairement vrai ou faux.

Cet automatisme est sans doute ce qui inquiète le plus les professionnels de l’information. Sur le site Pandodaily, le journaliste américain David Holmes reconnaît que l’utilisation de robots pour effectuer le fact-checking permet de travailler en temps réel et donc plus rapidement que des humains. Il ajoute que cela permet aux journaux de se soustraire aux critiques récurrentes qui mettent en doute l’objectivité des fact-checkers. Du moins en apparence, puisque les données avancées proviennent d’une source dont la neutralité est elle aussi discutable. Dans le cas du Truth Teller, elles sont extraites en grande partie des écrits du blog The Fact Checker, la part d’ »humain » y reste donc importante. S’il comprend l’attrait journalistique pour un algorithme aussi perfectionné que celui du Truth Teller, David Holmes rappelle : « Jusqu’à ce que les robots soient aussi complexes que les répliquant de Blade Runner, les humains seront encore nécessaires pour déterminer quelle information est cruciale, quelle information est oubliable et, le plus important, pour parler à des gens qui autrement ne partageraient pas leurs histoires avec le monde ».

Texte rédigé par Léa Bucci