À Santiago, le data-journalisme intègre les cursus

L’Institut de la Communication et de l’Image (ICEI) de l’Université du Chili détient la première formation en journalisme du pays. Parmi son corps enseignant, Lionel Brossi est chargé d’enseigner le journalisme numérique. Passionné de traitement de données, il essaie de transmettre à ces étudiants les bases essentielles de cette pratique en constante évolution.

Diplômé en communication, journalisme et littérature comparée, Lionel Brossi maitrise les outils du numérique depuis sa thèse lorsqu’il a pratiqué la « cyber-ethnographie ». Le journalisme d’investigation exercé dans le domaine du numérique est depuis sa spécialité. Cet Argentin d’origine vient d’entamer sa deuxième année à l’ICEI pour former les étudiants au journalisme de données, une première dans le pays.

Lionel Brossi, en quoi consistent vos cours ?
Mes enseignements en journalisme numérique à l’ICEI s’organisent autour de deux cours. Le premier est orienté sur la théorie tandis que le second est un atelier de  journalisme multimédia.  Au premier semestre [l’année scolaire vient de commencer],  les étudiants apprennent les techniques de visualisation. Comment géolocaliser sur une carte, par exemple. Là j’ai des élèves qui  ont choisi d’étudier le mouvement étudiant. Alors ils vont se demander : comment géolocaliser les manifestations étudiantes au sein d’une carte interactive ? Comment réaliser une time-line ? Avec des graphiques, des vidéos interactives. Voilà, brièvement, ce que l’on fait en cours.

Quels sont les outils numériques que vous utilisez ?
Depuis deux séances nous essayons les applications qui génèrent des Wordclouds. Les étudiants doivent réaliser un « nuage de mots » en classe et les meilleurs sont publiés en ligne sur notre site : periodismodedatos.cl [journalisme de données].

Exemple d’exercice réalisé avec les applications Wordclouds par les étudiants de l’ICEI

Prenons l’exemple de ces étudiants : ils ont choisi d’utiliser le discours du gouvernement à propos des semences transgéniques de Monsanto. Ils ont transformé le discours en un Wordclouds selon les principaux mots-clés de la polémique. On retrouve les mots « semences, droits, loi, retraite d’initiative » etc. Peut-être en lisant seulement le discours nous n’aurions pas saisi les enjeux véritables de la polémique, et le WordClouds sert à améliorer la compréhension de ces enjeux.
En fait l’idée est de voir comment, à travers différentes applications, nous pouvons identifier des modèles pour raconter des histoires. Pour géolocaliser, l’outil qu’on utilise le plus s’appelle Google Fusion Tables. Il fait partie d’un site de Google qui s’appelle Media Tools. C’est une sorte de kit pour journalistes avec des outils pour raconter des histoires. Géolocalisation, Graphic chats, Timelines, tout est disponible dans une même page.

Quel est le niveau d’utilisation du journalisme de données au Chili ?
Les données publiques sont de plus en plus utilisées par les médias et les journalistes indépendants au Chili. Aujourd’hui, il existe des normes pour les gouvernements occidentaux afin qu’ils publient correctement les données publiques, selon leur devoir de transparence. Mais malgré la loi de transparence au Chili, on reste confronté à certains problèmes.

“Normes techniques pour la publication des données publiques au Chili”

Idéalement, le Gouvernement devrait partager ses données sous format Excel, qui est un format manipulable où tu peux recopier les chiffres et les additionner. Mais ce qui se passe en général c’est que le gouvernement, lorsqu’il souhaite occulter des données ou bien lorsqu’il s’agit de données dont la publicité ne l’intéresse pas, va publier les documents au format pdf. Mais avec un PDF on ne peut rien faire ! On est obligé de tout recopier pour faire notre propre tableau. Et quand on parle de milliers de données, c’est vraiment un travail de fou.  L’autre problème que l’on rencontre à l’heure actuelle, c’est que les journalistes manquent de spécialisation en visualisation. Un tableau de données, seul, ça ne me dit rien. Il faut savoir les traiter graphiquement pour les rendre compréhensibles.

En fait, vous êtes en train de former une nouvelle génération de journalistes ?
Tout à fait. C’est la première fois que s’initie ce genre de cours. Ici à l’ICEI, nous avons commencé l’année dernière à travailler sur le journalisme de données. Nous avons aussi le projet de créer un Master en Journalisme d’Investigation, spécialisé en journalisme de données. À côté des données publiques qui nous sont données, il faut aussi savoir enquêter en profondeur pour obtenir les chiffres.
Par exemple à l’ICEI nous menons des enquêtes approfondies en partenariat avec les collèges de Santiago, à propos du harcèlement à l’école et du cyber-harcèlement. Les cas de harcèlements scolaires répertoriés nous viennent seulement des plaintes enregistrées par la police, mais en réalité les cas sont bien plus importants. Les enfants vont rarement jusqu’à dénoncer à la police ces cas d’intimidation, qui les poussent parfois au suicide. Il faut du temps pour collecter les données, organiser les enquêtes dans les collèges, le travail de terrain fait aussi partie du journalisme de données.

“Les plaintes pour harcèlement à l’école ont augmenté de 11%
en 2013 et les cas répertoriés sont de 21 000 en six ans.”

Article rédigé par Marianne Deygout