Confidentialité des communications : l’expérience « arabe »

 

Coupure d’internet, surveillance généralisée des réseaux, parfois avec l’aide d’outils très perfectionnés de « guerre électronique » ; des enseignements méritent d’être tirés des expériences dans le monde arabe pour la sécurité des journalistes et de leurs sources, alors que les télécommunications sont devenues un élément central de leur métier.

« Une information judiciaire visant Amesys pour complicité d’actes de torture en Libye a été ouverte à la suite de la plainte déposée en octobre 2011 par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) », informait Mediapart dans un article du 22 mai 2012. En cause, la fourniture par l’entreprise, filiale de Bull, de matériel de surveillance électronique au régime de Khadafi.

Un peu plus à l’est, Hosni Moubarak décidait, le 28 janvier 2011 et au terme de deux jours de blocage partiel, de couper totalement l’accès au réseau sur l’ensemble du territoire égyptien ; une première mondiale, Birmanie mise à part. En mars de la même année, la Libye suivait le même chemin, en rendant elle aussi son réseau inaccessible.

Pour impressionnantes qu’elles soient, ces atteintes à la liberté de diffuser des informations ne sont que la partie émergée de l’iceberg : elles ne tiennent pas compte des innombrables écoutes, interceptions, espionnages et piratages dont les journalistes – professionnels ou citoyens – sont régulièrement la cible.

Un enjeu majeur pour les journalistes du XXIe siècle

La Süddeutsche Zeitung révélait ainsi récemment qu’un Allemand avait pu vendre en toute tranquillité au Bahreïn un logiciel capable de « consulter les données enregistrées et les sauvegarder avant qu’elles ne soient effacées ou modifiées. Lire ce que l’utilisateur est en train d’écrire. Enregistrer des conversations sur Skype. Allumer la webcam de l’ordinateur pour voir où est situé le matériel. Se servir de la fonction de localisation par GPS d’un smartphone comme d’un émetteur. » Un cheval de Troie que le pays s’est empressé d’utiliser contre les opposants politiques, d’après le journal.

Hors monde arabe, les intrusions informatiques dont a été victime le New York Times afin, probablement, d’identifier les sources du quotidien en Chine, sont là pour le rappeler : la sécurisation des télécommunications est devenue un enjeu majeur pour les journalistes du XXIe siècle.

Pourtant, force est de constater que la mesure du danger n’a pas été prise ; à l’exception de quelques grands médias d’investigation et de blogueurs échaudés – notamment dans le monde arabe – la grande majorité des rédactions travaillent encore dans des conditions de confidentialité alarmantes, y compris dans les pays réputés dangereux pour les journalistes. Ordinateurs mal protégés et infectés de virus, locaux insuffisamment surveillés, connexions non sécurisées, absence de chiffrage des disques durs : les entorses aux règles de sécurités sont nombreuses, et les risques induits élevés. L’hypothèse selon laquelle la mort en Syrie des journalistes Marie Colvin et Rémi Ochlik serait imputable à leurs téléphones satellitaires a un temps circulé, même si cela n’est pas la seule possible. Le 22 février 2012, le centre de presse improvisé dans lequel ils se trouvaient a été bombardé par l’armée syrienne ; or les téléphones utilisés par les reporters peuvent facilement être compromis, mettant par exemple dans les mains de ceux qui interceptent leurs signaux… les coordonnées GPS de l’appareil.

Une menace pour l’existence même de l’information

Les journalistes n’ont pourtant pas toujours conscience de l’ampleur du problème, notamment parce qu’ils ne sont que rarement formés à protéger leurs données et leurs communications – très peu de formations sensibilisent leurs étudiants sur ce sujet. Il est d’autant plus difficile de se prémunir des risques quand on les ignore…

Plus préoccupante encore est la question de la protection des sources, souvent bien plus vulnérables que les journalistes : elles ne bénéficient pas du soutien de la rédaction, de la corporation et des réseaux que les journalistes sont souvent à même de mobiliser pour défendre leur cause. Le photographe Nadir Dendoune, en mission en Irak pour Le Monde diplomatique, a ainsi pu être libéré suite à une intense campagne médiatique et diplomatique. Le risque est que leur exposition ne dissuade beaucoup de « lanceurs d’alertes » potentiels, menaçant l’existence même de l’information : sans eux, nombre de grandes affaires n’auraient en effet jamais pu avoir lieu.

Les révolutions de 2011 et les changements en cours dans le monde arabe ont permis de mettre sur le devant de la scène un certain nombre de réponses à la censure et à l’espionnage des blogueurs et journalistes. La mise en place par Google et Twitter, lors du blocage d’Internet en janvier 2011 en Égypte, d’un service permettant de poster et de consulter par téléphone les messages publiés sur le réseau social en est un exemple. L’utilisation de lignes de téléphone pour obtenir une connexion bas débit montre également que les internautes ont su trouver eux-mêmes des parades globalement satisfaisantes au blocage et à la surveillance des réseaux. Aux journalistes professionnels d’en prendre conscience de s’emparer désormais de la question.

Article rédigé par Vladimir Slonska