Rachele Kanigel, la prof de journalisme qui pense aux étudiants

 

Aux États-Unis, certaines universités proposent un programme d’études en journalisme : c’est le cas de la San Francisco State University, dont l’une des figures est Rachele Kanigel, une enseignante qui s’investit à tous les niveaux.

Les étudiants de la San Francisco State University (SFSU), Rachel Kanigele les connaît bien. Elle les a fréquentés de 1980 à 1983, époque où elle aussi usait les bancs de cette université. Elle les suit depuis 2008, date à laquelle elle a pris ses fonctions de professeur associé dans le département journalisme. Entre temps, Rachele a été pendant quinze ans reporter pour divers journaux américains, dont le Oakland Tribune. Elle a donné en parallèle des cours à mi-temps à SFSU, avant d’aller achever ses études de journalisme à Colombia en 2001-2002. Elle est ensuite revenue à San Francisco pour enseigner à plein temps et superviser le Golden Gate [X]Press, le journal du campus de SFSU.

Parmi les matières dispensées par Rachele, on trouve l’écriture de news, l’introduction au journalisme en ligne, l’écriture magazine ou encore le reportage. Mais la professeure ne se contente pas d’animer des ateliers sur ses heures de cours. En 2005, alors qu’elle travaillait à l’université de Monterey, elle a écrit « The Student Newspaper Survival Guide« . Un manuel de conseils pour les étudiants qui souhaitent participer au journal de leur université. « Je cherchais un guide pour aider ceux qui n’avaient jamais pris de cours de journalisme », explique-t-elle. « Mais le seul ouvrage vraiment complet n’était plus édité depuis des années. Du coup, je me suis dit que j’allais le faire moi-même. » Rachele a ainsi passé plusieurs années à interroger les membres de divers journaux étudiants avant de rédiger son manuel.

Si elle se démène pour procurer de bons outils de travail à ses étudiants, c’est parce que l’enseignante veut favoriser leur autonomie. Elle n’est pas du genre à porter un regard autoritaire sur leur prose. « Je crois à la liberté de la presse étudiante », affirme-t-elle. « C’est le rédacteur en chef qui organise le contenu du journal, les contributeurs écrivent librement et je relis après. » Rachele trouve important que ses futurs journalistes fassent leurs propres erreurs pour progresser, et a confiance en leurs capacités. « La plupart du temps je pense qu’ils font du bon travail, ils sont responsables et sérieux. Ils ont à coeur de faire les choses bien et de manière juste. »

Les stages, une ouverture à suivre

Son engagement dans la filière journalisme de l’université n’est plus à prouver. Pourtant, lorsqu’elle étudiait à SFSU, c’est un peu par hasard que Rachele s’est lancée dans ce qui allait devenir son métier : « J’avais essayé beaucoup de choses : l’anglais, le cinéma… J’avais plein de matières différentes, puis j’ai pris un cours de journalisme, juste pour rire. J’ai adoré ça, et j’ai senti que c’était vraiment ce que je voulais faire. » Ses élèves non plus n’ont pas un parcours en ligne droite. Certains ont étudié l’écriture créative, d’autres la politique. Ils ont accédé au métier par leurs stages, une voie en laquelle Rachel croit beaucoup : « J’étais choquée de voir qu’en France, il faut une carte de presse pour être considéré comme un journaliste. Je pense qu’il est bon de faire une école de journalisme, mais je crois que les stages jouent vraiment un rôle clé. Ils vous permettent de comprendre si c’est vraiment ce que vous voulez faire, mais aussi de pratiquer et de se créer un réseau. J’encourage mes étudiants à apprendre à connaître les gens. Souvent, un stage peut se transformer en job free-lance ou en travail payé, même si ce n’est pas forcément à plein temps. »

Elle-même a fait ses premières armes au San Francisco Bay Guardian et au magazine Metro, avant d’obtenir son premier job en 1982 au San Francisco Progress. Elle est aussi très sensible au problème des stages en journalisme non rémunérés aux États-Unis, à propos desquels elle a récemment écrit un article.

Et pour aider ses étudiants à élargir leurs horizons, Rachele les incite à partir à l’étranger. C’est la mission du programme ieiMedia, dont elle est la directrice depuis 2008. Grâce à ce système, les étudiants peuvent passer leur été dans un pays d’Europe, pour prendre des cours de multimédia et faire un stage. « Je pense que c’est une très bonne expérience pour les gens qui veulent devenir correspondants à l’étranger, car cela leur permet d’être vraiment immergés et de pratiquer une autre langue. De manière générale, je crois qu’il est toujours bien pour les étudiants d’être en dehors de leur zone de confort et de ne pas tout comprendre. Même s’ils exercent aux États-Unis plus tard, ils seront aussi confrontés à des communautés dont ils ne maîtrisent pas le langage et avec lesquelles ils ne seront pas à leur aise. » Elle-même n’a pas eu l’occasion de faire du journalisme à l’étranger lorsqu’elle était étudiante. Mais cela lui aurait plus de voyager ; elle a d’ailleurs effectué une partie de son cursus à Montréal.

Enseigner à l’heure du journalisme numérique

Pour l’heure, Rachele s’implique énormément dans le dispositif ieiMedia. Elle en anime la page Facebook et écrit pour le blog du programme, sur le journalisme à l’international, les bourses et les concours. Car Rachele est une enseignante hyperconnectée. Surtout sur son compte Twitter, qu’elle utilise pour suivre l’information et la partager avec ses followers, et bien sûr, ses étudiants. Pendant un temps, elle a blogué régulièrement pour le site du Golden Gate [X] Press, « mais j’ai arrêté, car cela prenait beaucoup de temps », avoue-t-elle. Elle a appris seule à utiliser Storify et s’intéresse énormément aux changements dans le monde du journalisme et aux nouveaux médias. « Internet est vraiment devenu un outil dans les dernières années où j’étais reporter. C’est un challenge pour les gens de ma génération d’acquérir de nouvelles compétences dans ce domaine. Nous devons essayer de faire le tri parmi tous ces nouveaux outils, entre ceux ont de l’avenir et valent la peine qu’on consacre de l’énergie à s’y familiariser, et ceux qui disparaîtront demain. »

Un challenge qui concerne aussi la manière d’apprendre le journalisme, et a des conséquences sur son rôle d’enseignante. « Nous parlons beaucoup, entre professeurs, de la façon dont nous aller intégrer ces nouvelles pratiques aux programmes universitaires, et du temps que nous devons leur consacrer », explique Rachele. « Ces nouvelles manières de raconter l’information posent de nouvelles questions pour les actuels et futurs journalistes  : quel support (vidéo, audio) j’utilise pour quel sujet ? Est-ce que je dois suivre l’évolution d’une nouvelle sur les réseaux sociaux ? Dans quel cas est-ce que je dois crowdsourcer ? » Dans un monde où l’information est de plus en plus rapide grâce au web, Rachele tient à ce que ses étudiants sachent faire la part des choses : « Nous en discutons beaucoup dans mes cours : les étudiants doivent savoir reconnaître si une information doit être traitée immédiatement ou non. En tant que professeur, on veut aussi s’assurer qu’ils aient de bonnes capacités dans tous les domaines du journalisme. »

Article rédigé par Léa Bucci