« Je ne travaille pas gratuitement », le cri du cœur des journalistes espagnols

 

L’Association de Presse de Madrid, la plus importante et la plus ancienne association de journalistes espagnols se range aux côtés des rédacteurs depuis sa création. Récemment, elle s’est engagée, par la voix de sa présidente, Carmen del Riego, dans une campagne contre les conditions de travail de plus en plus précaires des professionnels de l’information.

#gratisnotrabajo
La campagne via hashag, lancée sur Twitter fin 2011 par l’Association de Presse de Madrid, rencontre depuis un succès qui ne se dément pas. La précarisation des conditions de travail des journalistes en Espagne a provoqué une véritable mobilisation dans le milieu médiatique. Ce hashtag, presque un slogan, est brandi tel un étendard pour dénoncer publiquement les offres de travail abusives.
Véritablement révélatrice du climat médiatique qui règne dans ce pays, la campagne touche tous les secteurs. Les journalistes freelance s’insurgent pour mettre le doigt sur ces pratiques. Tout a commencé sur Linkedin lorsque la journaliste Azahara Cano a écrit un réquisitoire contre une annonce de travail qu’elle venait de recevoir. Dès le début elle s’est placée dans une logique de dénonciation pour éviter que ces pratiques pullulent:

L’entreprise lui proposait d’écrire environ 400 articles, minimum 800 caractères, par mois sur un site. Critères du travail : articles inédits, de qualité et avec un référencement dans les agrégateurs type Googlenews. Salaire : 0,75€ par papier, soit environ 300€ mensuels.

Le cas a fait parler. Un vrai buzz sur les réseaux sociaux et une prise de conscience chez les journalistes freefance qui s’y sont solidarisés. L’engouement a été tel que l’APMadrid a relayé l’information et a lancé une vague de dénonciation à partir du thème « Gratis, no trabajo », c’est à dire, « Je ne travaille pas gratuitement ». Des journalistes, désarçonnés et humiliés par de telles offres, ont pris le parti de pointer du doigt ces pratiques frauduleuses.

Les plus touchés, les jeunes et les freelance
Parmi les journalistes les plus touchés par ces conditions précaires, on retrouve, comme souvent, les jeunes diplômés, et les freelance. Les conditions de travail et les offres proposées par certaines entreprises sont des thèmes récurrents et sensibles que l’on peut retrouver sur la toile. Le cas d’Azahara Cano a ouvert la voie à une critique de ces nouvelles pratiques qui consistent à proposer des offres frauduleuses, sous couvert de la crise.
Les journalistes, « autónomos », comme on dit en Espagne pour les freelance se dirigent le plus souvent vers internet à la recherche de débouchés mais ne sont pas protégés contre certaines les dérives.
Carmen Del Riego, rappelle qu’un « bon journalisme se fait en envoyant les gens sur le terrain, en dépensant de l’argent pour obtenir des informations et non pas pour les acheter. Les journalistes doivent se trouver sur les lieux où se déroule ce qu’ils doivent raconter. » Ici, elle met en lumière des pratiques devenues courantes chez certains médias avec l’avènement du journalisme web. Certaines entreprises de presse, dans une logique de rentabilité plutôt que de qualité, font passer du journalisme pour ce qui est en fait du publi-reportage. Selon LibertadDigital.com, ces pratiques sont très courantes et dévalorisent le vrai journalisme, celui qui cherche des sources et qui enquête. La revue digitale pointe également du doigt les conditions de travail des stagiaires. « La journée des stagiaires, dans certains médias, dépasse les dix heures ». De telles conditions empiètent sur le travail journalistique et la qualité des réalisations. Dans un contexte pareil, il parait important de revaloriser le journalisme pour éviter de tuer petit à petit la liberté de la presse.
Les conditions de travail des journalistes empirent petit à petit, et ce ne sont pas les jeunes qui diront le contraire. Elena*, fraîchement diplômée, travaille dans un média indépendant de la capitale. Elle n’est pas stagiaire, elle n’est pas salariée, ni même pigiste. Elle est bénévole. Elle travaille, non pas pour l’argent, mais pour se faire une expérience, bien que ces précédents stages lui aient permis de se confronter à la réalité des médias. Son média lui a promis de l’embaucher si au bout de quelques mois, l’expérience était concluante. Pour faire ses preuves elle travaille plus que les autres, acceptant des sujets même très tard le soir, et écrit plus de vingt articles par jour souvent, mais « pas de bonne qualité » selon elle. Ce genre de choses  est malheureusement courant, et les « périodes d’essai » sont ainsi déguisées, avec toujours, un espoir d’être embauché « pour de vrai » à la fin.

* Le prénom a été modifié.

Article rédigé par Julie Clément